Rudy Decelière

110,21Hz, un paysage

 

Exposition du jeudi 9 mars au samedi 8 avril 2006.

 

Conversation avec Rudy Decelière

 

-D’où vient le titre « 110,21Hz, un paysage » ?
Un son constant, grave et subtil habite de manière récurrente le bâtiment de Forde et alentour. Ceux qui y vivent le connaissent et y sont habitués, l’oublient aussi. Ces vibrations proviennent des turbines du barrage du Seujet, à quelques mètres de là. Lors d’un enregistrement sonore de l’espace d’exposition à vide, je cherchais à déterminer la fréquence dominante de ce ronronnement. S’est alors révélé, à mon sens, un paysage sonore riche, autour de cette note tenue. Un titre confidentiel.

 

-Peux-tu nous expliquer le principe de l’installation ?
L’installation emprunte le mode de construction du haut-parleur. Un courant électrique traverse un fil de cuivre ; ce dernier s’agitera en présence d’un aimant, en fonction de l’intensité du courant. C’est ainsi que fonctionne chaque haut-parleur ; la différence fondamentale étant que le cuivre se trouve généralement fixé sur un cône de carton plutôt que sur des lattes de bois. Celles-ci permettent d’ailleurs au son de se répandre dans l’espace (dans l’air), comme le fait la caisse de résonance d’une guitare.  

 

-Qu’est-ce qui dicte les qualités physiques de cette installation ?
En général, certaines qualités architecturales me viennent rapidement aux yeux lors des premières visites ; elles donnent rapidement des pistes plastiques directement liées à des possibilités de diffusions. 
Par la suite, plusieurs écoutes du lieu définissent la réaction sonore. La dimension temporelle liée au son prend un sens particulier vis-à-vis de l’image ; cette attention au temps reste fondamentale lors de la visite de l’installation. 

 

-Le lieu est-il important dans la préparation de tes projets en général et de celui-ci en particulier ?
En principe, c’est bien le lieu qui induit et donne sens à l’installation. Je tente d’appliquer quelques éléments sonores et graphiques, de manière à rendre perceptibles certaines qualités architecturales et acoustiques que j’aurais perçues lors d’un passage ou provenant d’images rémanentes.
Avoir pu profiter de Forde quelque temps avant l’exposition, m’as permis d’envisager plusieurs projets. Unique difficulté : se décider. 

 

-Est-ce une réponse aux qualités sonores du lieu ?
En quelque sorte, ce pourrait être l’inversion du principe de réverbération.
De par son sol et ses murs à la fois denses et lisses, Forde possède une forte réverbération ; une source ponctuelle remplira rapidement l’espace, et plutôt de manière chaotique. Une des possibilités était de peupler l’espace, à mon tour, de multiples sources ponctuelles. Prendre en otage l’espace, et rendre visible un écho.

 

-Est-ce que tu es capable d’anticiper/prévoir les effets ou comportements d’une installation ?
Il y généralement une part de surprise délicieuse lors de la première diffusion sonore, à la pause du mille cinquante-sixième haut-parleur, ou la tension du dernier fil de cuivre. Non pas une simple satisfaction d’avoir achevé une part importante du travail, mais un moment où la concrétisation dépasse systématiquement la projection. Bien que j’aie pu expérimenter, à plusieurs reprises, le rapport entre ma projection et la concrétisation, il n’y a aucune accoutumance à ce qui ne peut s’expérimenter en atelier. Il ne s’agit donc pas d’anticiper ni prévoir, mais plutôt sentir des effets possibles. 

 

-Te reconnais-tu plutôt dans la figure de l’inventeur ou dans celle du bricoleur ?
En mal d’inspiration, je déambule dans une quincaillerie, ou un « brico-loisirs »: porte toujours ses fruits.

 

-Tu étais très opposé à l’idée de pollution sonore. Quelle valeur esthétique ont pour toi les sons que tu utilises dans ta composition ?
Je n’ai pas encore précisément défini ma propre limite entre pollution et éléments sonores [dans un sens musical]. C’est pourquoi, il ne m’est pas envisageable de le faire pour les autres ; la limite bruit / son est absolument subjective et évolue constamment. Surtout, elle est fragile. La valeur d’une composition, dans un idéal, pourrait être l’instrument permettant de nous faire balancer entre ces deux perceptions.

 

-Tiens-tu compte de la valeur esthétique (scupturale) de tes installations lorsque tu les imagines ?
Cela n’a pas toujours été assumé (ou conscient), mais je crois que c’est maintenant résolu. 
En réalité, il est question d’un rapport simple entre le visuel et le sonore. Trouver un équilibre et travailler à ce que l’un serve l’autre, sans concurrence. C’est aussi une forte attention demandée au visiteur qui doit, par lui-même, fournir un effort pour établir cet équilibre. L’aspect visuel est en général plus accessible, mais prend peu de sens (selon moi) sans son lien au son.

 

-Ton installation est-elle conçue pour la diffusion ou la diffusion se surajoute-t-elle à la vie de l’installation ?
Surtout pas l’un, ni l’autre ; exactement entre les deux (bien que ce point-là ne se définisse que par un certain balancement).

 

Propos recueillis par Marie-Avril Berthet et Julien Fronsacq.

 

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