Mathieu Mercier
A.N.X.
Exposition du mercredi 7 décembre 2005 au samedi 11 février 2006.
Julien Fronsacq réalise le compte-rendu de la première exposition personnelle de Mathieu Mercier en Suisse.
« Depuis Louis-Philippe on rencontre dans le bourgeois cette tendance à se dédommager pour l’absence de trace de la vie privée dans la ville. Cette compensation il tente de la trouver entre les quatre murs de son appartement. Tout se passe comme s’il avait mis un point d’honneur à ne pas laisser se perdre les traces de ses objets d’usage et de ses accessoires. (…) Il a une préférence marquée pour le velours et la peluche qui conservent l’empreinte de tout contact. (…) De là naît le roman policier qui s’enquiert de ces vestiges et suit ces pistes. »
La dernière exposition de Mathieu Mercier se présente également comme un intérieur d’appartement susceptible d’être le lieu d’une enquête. Dispersés, les objets – une chaise, une télévision, un rideau, une lampe – confèrent à l’espace une dimension théâtrale. Au fond, un lourd rideau de velours obstrue l’espace alors que seules les œuvres produisent la lumière nécessaire à l’exposition. Un écran plat, une vitrine et une lampe – plafonnier produisent de conserve une lumière blanche et froide à la façon d’une cuisine ou d’un laboratoire. A l’image de ce halo, les objets ont une identité oscillante et s’avèrent autant familiers que doucement étranges. La télévision présente une tâche indéfinissable. Au centre, un volume balance doucement entre la vitrine, la cheminée et le monument. Proche de la chaise de jardin, un fauteuil s’en distingue pourtant par ses ouvertures particulières dans le dossier et les accoudoirs. Mais à ce régime de la familiarité étrange se substitue rapidement un régime de représentation tout à fait différent. Un rideau au motif de grillage, un tube fluo standard augmenté d’un néon spiralé procèdent quant à eux d’une juxtaposition évidente. Se trouvent alors dos-à-dos l’ornement et le fonctionnel, le standard et le particulier. Ces objets produisent avec efficacité des juxtapositions comme autant d’oppositions idéologiques identifiées : le monde bourgeois et la protection urbaine, l’industrie et l’artisanat… Ces œuvres ont alors l’immédiateté et la faiblesse des systèmes binaires. On peut convoquer la série magnifique des portraits de Lénine dans le style de Pollock réalisée par Art and Language entre 1979 et 1980. Ils se sont très clairement expliqués sur le principe binaire de cette série. « Dans les Portraits de V.I. Lenin in the style of Jackson Pollock, les conditions qui ont produit l’orthodoxie du réalisme socialiste et l’orthodoxie du modernisme américain sont conjoncturellement signifiantes. » L’opposition vise à identifier les forces dominantes qui caractérisent un moment, la Guerre Froide. Se trouvent indexés les systèmes de valeurs qui régissent l’esprit d’une époque et ses idéologies.
« Comme les allégories du baroque, la production culturelle du xxème siècle a pour cadre une période de déclin, de décadence et de défiguration. L’un des principes esthétiques chez Benjamin (Brecht ?) consiste à recueillir et reproduire « les contradictions du présent », sans les résoudre. » . Benjamin évoque comment le béton armé est paradoxalement développée pour l’ornement des architectures Modern Style (Henri van de Velde). Ou encore, comme on l’a vu au début de ce texte, le bourgeois compense son absence de la ville par le velours d’appartement. Et à l’auteur de prolonger son étude historique en en faisant un contexte favorable à l’émergence de la littérature policière. On pourrait boucler la boucle et la résumer en considérant que le thriller paranoïaque est le prolongement naturel de l’abandon bourgeois de l’espace publique. Art and Language doutent en effet de l’infaillible dialectique « benjaminienne ». Toute juxtaposition de termes révéleraient une contradiction qui à son tour offriraient un éclairage pertinent sur l’époque. Le groupe d’artiste lui emprunte donc simplement l’opération de juxtaposition sans en reproduire le procédé dialectique.
A côté de ces systèmes d’opposition, pour d’autres œuvres c’est la séparation qui semble déterminante. A l’écran, un fondu enchaîné des planches du test de Rorschach comme autant de formes symétriques. Hypnotique, ce film se régénère de tâches en tâches par son centre. Dans un espace adjacent, la seule œuvre qui en a l’air est un tas de terre pétri dont la coupe centrale est prolongée par deux socles distincts. Enfin, dans un coin, deux formes élémentaires associées dont la soudure en font un fémur en métal lourd. Or, les éléments sont bien familiers : une boule de pétanque et une barre de fer, deux instruments bien distincts qui associés pourraient augmenter leur force de frappe de manière considérable. Dans l’union de ces cultures opposées il y a le temps historique entre l’os-arme de poing et la fusion du métal appliquée à l’industrie militaire. La confrontation n’a ici plus rien à voir avec celle de Benjamin ou d’Art and Language. L’opération de Mathieu Mercier n’est pas une analyse de l’époque et encore moins une déconstruction des discours dominants. Ainsi le « fémur – barre de fer » est surtout le prélèvement singulier dans l’opération de mutation d’un objet identifié en un autre. Il est autant une soudure de deux objets qu’une ellipse cinématographique. Par le raccourci dans les événements, l’ellipse permet au film réaliste de se soustraire au temps réel. Elle serait donc ici un os jeté dans l’espace par un primate devenant ainsi un objet technologique. Sonnant tel un brevet d’une polysémie, le titre de l’exposition, A.N.X. serait la contraction universelle valable pour diverses langues : anxiety, Angst… L’exposition se présente bien sous le sceau de la polysémie et de la paranoïa. Elle articulerait donc le soupçon d’une signification dissimulée, d’un regard projectif, d’une démonstration… Elle se concentrerait dans les sédiments de la soudure, ces moments habituellement dissimulés dans l’ellipse.
Julien Fronsacq
1 Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXème siècle – Exposé in « Ecrits français », Folio essais Gallimard, Paris, 1991, pp. 386 – 387. 2 Art & Language. Lettre à un conservateur de musée canadien, 1982 in « Art & Théorie – 1900 – 1990 », Hazan, Paris, 19 92, p.1160.
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